Que faire si l’extrême-droite entre au gouvernement ?

Maëlle Fouquenet
6 min readJun 23, 2024

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C’est la question que posait le journaliste allemand Arne Semsrott en mai dernier à RePublica. Dans le contexte de la montée de l’AFD (extrême droite allemande), et dans la perspective des élections fédérales de 2025, il s’interrogeait et proposait des pistes que je repartage ici.

Si la question me paraissait pertinente pour la France, je l’envisageais pour 2027, pas pour dans moins d´un mois. C’était sans compter sur la dissolution surprise. Cette même question n’est pas nouvelle puisqu’elle avait émergé lors des premières municipalités remportées par le FN dans les années 90. Différence majeure, à l’époque, les agents territoriaux pouvaient espérer se tourner vers l’administration centrale et les préfectures pour soulever la question de la légalité des instructions reçues. Ce qui ne serait plus le cas maintenant.

Avant d’imaginer que faire si l’extrême-droite arrivait au pouvoir, Arne Semsrott revient sur les actions potentielles qui seraient prises par ces nouveaux membres du gouvernement. De couper les fonds aux associations de soutien aux minorités, aux migrants, à l’éducation populaire, couper les financements aux planning familiaux jusqu’à mettre les gens en garde à vue de manière préventive, le journaliste déroule une liste longue comme le bras. Surtout, il souligne que toutes ces actions seraient possibles grâce à des lois déjà existantes votées par les gouvernements précédents sans avoir besoin d’en passer de nouvelles.

En France aussi, les textes liés à la sécurité et à la surveillance — notamment les ceux sur la surveillance algorithmiques des lieux publics ou le délit de groupement par exemple - permettent d’attaquer la vie privée et les libertés individuelles. Des outils qui ne devaient jamais tomber entre de “mauvaises mains”, nous avait-on promis (combien de fois ai-je entendu cette phrase : “oh mais tu vois vraiment le verre à moitié vide”). Mais ces outils, ils existent bien, et pourraient à très court terme être à disposition d’un parti raciste démocratiquement élu.

Par ailleurs, pour être en mesure de mener des actions petites et grandes et ainsi résister à un gouvernement d’extrême-droite, il faut avoir conscience que la démocratie est en danger. Or, Arne Semsrott insiste sur la normalisation de petites violations des principes de la démocratie (sur le mode “ça pourrait être pire”). Il cite particulièrement Sebastian Haffner, journaliste allemand qui a écrit sur l’absence de réactions et d’acte de courage lors de la montée du nazisme et l’arrivée des nazis au gouvernement par le jeu d’une coalition dans les années 30 en Allemagne.

Alors que faire si un parti d’extrême-droite arrivait au pouvoir ?

Tout d’abord, Arne Semsrott rappelle qu’il y a une différence entre les projets d’un parti qui arrive au pouvoir, ce qu’il parvient réellement à mettre en œuvre et ce qui fonctionne comme il l’avait prévu. On peut espérer que la méconnaissance du fonctionnement profond des administrations ralentisse la mise en œuvre de décisions anti démocratiques.

Par ailleurs, il propose plusieurs pistes aux agents publics :

  • refuser les instructions qui leur seraient adressées si elles sont “manifestement illégales ou de nature à compromettre gravement un intérêt public” (en France c’est l’article 28 de la loi n° 83–634 du 13 juillet 1983).
  • user du droit de grève et du droit de manifester
  • se mettre en arrêt maladie
  • ralentir toute la machine administrative en faisant la grève du zèle
  • et évidemment se poser la question de rester en poste ou non
Astérix et la maison qui rend fou, dans Les Douze Travaux.

Ce choix dual, partir ou rester, Marc-Olivier Baruch, auteur de Servir l’Etat français : la haute fonction publique sous Vichy (1940–1944), en parle dans l’émission La suite dans les idées (France Culture). L’historien, lui-même passé par Polytechnique et l’Ena, évoque la situation des hauts fonctionnaires en 1940 quand Philippe Pétain devient chef de l’Etat en juillet.

Baruch souligne que ces derniers ne sont “jamais obligés de rester dans ce type de poste” (postes à responsabilité en accord avec la politique déployée). En effet, les hauts fonctionnaires appartiennent à différents corps de l’Etat et “n’ont aucune difficulté à passer les temps difficiles un peu à l’écart”. Une façon de ne pas démissionner, garder son travail et son salaire, sans entrer en responsabilité dans une politique qui irait à l’encontre de leurs valeurs.

Parmi les réactions au lendemain de l’élection européenne, on notera la pétition lancée le 14 juin, et signée par plus de 800 cadres de l’Education Nationale indiquant qu’en tant que “fonctionnaires d’Etat, en conscience et en responsabilité”, ils n’obéiront pas à des directives “en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent [leurs] métiers et justifient [leurs] engagements”. La désobéissance comme alternative au fameux “partir ou rester”.

Arnaud Bontemps, fonctionnaire et porte-parole du collectif Nos services publics, évoque quant à lui une responsabilité dans un tel contexte des agents publics à défendre les services publics et l’égalité entre toutes et tous.

https://x.com/arnaudbontemps/status/1800174828147909072

En effet, les fonctionnaires sont — pour le moment en tout cas — protégés par la loi. Ils peuvent en revanche être mis au placard ou mutés en guise de représailles. A Orange, époque Bompard, “la pire des punitions était la mutation au service cimetière” peut-on lire dans un article d’Acteurs Publics en 2014.

Pour les agents publics, mais aussi pour les autres citoyen·nes, Arne Semsrott évoque des possibilités de résister :

  • faire grève et manifester (il cite la France et la Finlande en modèle de manifestations), y compris si la manifestation est déclarée illégale (partant du principe que les décisions contestées par ces manifestations seraient elles-mêmes anti-démocratiques)
  • que les syndicats prennent leurs responsabilités, s’organisent et construisent des alliances, travaillent ensemble
  • que les médias acceptent (enfin) de prendre leur part de responsabilités, en choisissant leurs invités notamment (le lendemain des énormes manifestations anti AFD de janvier 2024, les talk show allemands n’ont pas invité les organisateurs des manifestations mais les représentants politiques), en (re)publiant gratuitement certains contenus nécessaires à la défense de la démocratie (ce que Mediapart ou la Voix du Nord par exemple font maintenant en France)

Les autres éléments utiles à une résistance face à l’extrême-droite

Il faut également se méfier de la capacité des partis d’extrême-droite à s’approprier les espaces physiques et les confisquer à la société civile.

Le journaliste propose de réinvestir les lieux proches de nous, comme les centres culturels, les rues, de coller des affiches, des auto-collants… Ou en créer de nouveaux. Et cela sans oublier le monde rural souvent délaissé.

A ces espaces physiques s’ajoutent les espaces virtuels démocratiques comme Wikimedia par exemple. Nous avons besoin d’espaces virtuels (et physiques) sécurisés, où il existe une confiance entre les participants, un endroit où parler de sujets controversés. On a besoin de discuter et d’être en confiance.

Arne Semsrott insiste également sur la nécessité de se battre pour plus de démocratie, et pas uniquement en défense de la démocratie. Cela passe par exemple par plus de droits pour la liberté de la presse et la liberté d’expression, et pas seulement leur défense.

Cela se traduit également par la réduction du nombre de données collectées à tous les niveaux des administrations pour éviter qu’elles ne servent une mauvaise intention entre de mauvaises mains. C’est aussi assurer leur conservation, que ce soit au niveau centralisé ou décentralisé (y compris les petites collectivités).

Il appelle à passer à l’activisme, à devenir actif dans des associations de défense de la démocratie.

Autre possibilité : donner pour soutenir les associations et organismes qui luttent contre l’extrême-droite, inciter votre entreprise à donner aussi.

Enfin, comme on a besoin de solidarité et d’amour face à la haine que répand et instrumentalise l’extrême-droite, Arne Semsrot propose de s’interroger sur qui on appellera le soir de l’élection, avec qui on aura envie d’être et aux côtés de qui on veut se battre. Autant de questions que nous devrions peut-être nous poser. Au cas où.

[Edit : 1er juillet 2024 : ajout de la mention de Marc-Olivier Baruch]

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Maëlle Fouquenet

Journaliste en formation/reconversion data analyst, ex responsable numérique @ESJPRO. Algo, transparence, audio, ❤#Berlin, #Nantes, #freediving et #lindyhop